Mgr Charles Moeller
1912–1986

Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique:

Charles Moeller naît à Bruxelles le 18 janvier 1912, dans une famille d’origine à la fois danoise, flamande et bourguignonne. Parmi ses ancêtres, on trouve un évêque luthérien et des professeurs d’histoire et de philosophie à l’Université catholique de Louvain. Lorsqu’il a treize ans, son frère aîné le conduit à une réunion oecuménique organisée par dom Lambert Baudouin, défenseur de l’union des Églises. Parmi les personnalités présentes figure le cardinal Mercier, qui mourra quatre mois plus tard, et un évêque venu de l’Est qui prône le rapprochement des religions en Orient. Le jeune Charles est impressionné par leurs propos. Ceux-ci sont à l’origine de sa future passion pour l’oecuménisme. À la fin de ses humanités classiques à l’Institut Saint-Boniface, à Ixelles, il découvre sa vocation religieuse lors d’une retraite à l’abbaye de Saint-André.

Charles Moeller est très attiré par la lecture et lors de sa formation au séminaire de Malines, il consacre beaucoup de temps aux classiques grecs, mais il découvre aussi les auteurs de son temps. Ordonné prêtre en 1937, il est nommé professeur au Collège Saint-Pierre à Jette. Pendant treize ans, il y est chargé de la classe de poésie. Dès 1946, il publie Humanisme et sainteté. Témoignage de la littérature occidentale, qui sera traduit en espagnol et en italien. Défenseur des humanités traditionnelles qu’il estime indispensables pour la transmission permanente de l’héritage culturel du passé, il poursuit sa recherche dans un second livre paru en 1948, Sagesse grecque et paradoxe chrétien. Témoignages littéraires (également traduit en italien). Il s’agit de vastes réflexions sur l’apport de la pensée antique, que Moeller compare avec celle de grandes figures de la littérature comme Dante, Shakespeare, Dostoïevski ou Nietzsche. En 1952, Au seuil du christianisme : Platon, saint Augustin, Pascal, Newman, Blondel, une publication des cahiers Lumen Vitae, indique la voie que compte suivre le professeur, devenu un critique avisé, celle de la relation entre Dieu, la foi chrétienne et les écrivains.

Nommé maître de conférences, puis professeur de philosophie à Louvain en 1950, l’abbé Moeller prépare depuis plusieurs années un projet ambitieux, en fait depuis 1944, lorsqu’il a donné une série de causeries sur Kafka, Proust et Gide. Le premier volume de Littérature du XXe siècle et christianisme paraît en 1953. Il va connaître un grand succès : onze éditions, 43.000 exemplaires. Cinq tomes s’ajoutent au premier, pour former un ensemble de six publications. Le second date de la même année 1953, le troisième de 1957, le quatrième de 1960, le cinquième de 1975. Le sixième, posthume, paraît en 1993. La critique a souligné avec raison que cette somme d’études (traduite en anglais, en allemand, en italien, en portugais et en espagnol) ne consiste pas seulement en une brillante et scrupuleuse démonstration d’analyses textuelles centrées sur la foi et l’homme contemporain. Il s’agit bien plus d’un art de vivre : Moeller tente de découvrir dans chacun des écrivains choisis les points communs que présente leur philosophie personnelle avec les théories chrétiennes. Respectueux de l’inspiration, des idées et de la vie privée des auteurs, l’essayiste montre une réelle volonté d’ouverture. Accéder à un monde nouveau éloigné d’une morale contraignante, libéré des considérations politiques, économiques et sociales, tel est le message majeur transmis par cet esprit oecuménique.

Moeller va consacrer plus de trente ans à son œuvre maîtresse. Il aborde dans cette fresque les grands noms de la littérature du XXe siècle, selon une méthode de lecture définie, recoupant plusieurs niveaux : la lecture des textes (l’explicite), leur signification profonde dans l’existence de l’auteur ou de ses personnages (l’implicite) et, étape ultime mais essentielle, l’établissement d’une herméneutique permettant l’interprétation des symboles et des mythes découverts par l’oeuvre. Chaque volume porte un sous-titre significatif et regroupe un nombre variable d’écrivains : Silence de Dieu (I) se penche sur Camus, Gide, Huxley, Simone Weil, Graham Greene, Julien Green et Bernanos; La Foi en Jésus-Christ (II) sur Sartre, Martin du Gard, Henry James et Joseph Malègue; Espoir des hommes (III) sur Malraux, Kafka, Vercors, Cholokhov, Alain Bombard, Françoise Sagan et Ladislas Reymont. Dans le tome réservé à L’Espérance en Dieu notre Père (IV), Moeller aborde Anne Franck, Unamuno, Gabriel Marcel, Du Bos, Hochwalder et Péguy. Françoise Sagan, déjà présente au volume III, Brecht, Saint-Exupéry, Simone de Beauvoir, Valéry et Saint-John Perse forment l’ossature d’Amour des hommes (V). À son décès, le critique laisse un ensemble manuscrit, qui a été revu par Georges Sion et qui a paru sous le titre L’Exil et le Retour (VI). Marguerite Duras, le cinéaste Ingmar Bergman, Larbaud, Mauriac, Sigrid Undset et Gertrud von Le Fort clôturent cet impressionnant ensemble de plus de deux mille pages.

La carrière religieuse de Moeller suit une courbe ascendante. Sa valeur en tant que théologien lui vaut de participer au Concile Vatican II pour lequel il élabore en 1968 la rédaction du schéma XIII (L’Église dans le monde). Nommé sous-secrétaire de la Congrégation de la doctrine de la foi, deux ans auparavant, devenu Mgr Moeller, il s’installe à Rome. Le pape Paul VI fait appel à lui à la fin des années soixante pour diriger l’Institut œcuménique de Jérusalem, dont il est nommé recteur. En 1972, il devient secrétaire du Secrétariat à l’unité. À côté de son œuvre littéraire, il publie maints articles sur la foi, la patristique et l’œcuménisme, un ouvrage sur L’homme moderne et le salut (1965) et un nouveau numéro des cahiers de Lumen Vitae consacré à Mentalité moderne et évangélisation (1967). Jusqu’à la fin, il ne cesse de soutenir la cause de l’unité des Églises.

Mgr Charles Moeller meurt à Bruxelles 1e 3 avril 1986. Il avait été élu à l’Académie royale de langue et de littérature françaises le 18 avril 1970.

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